Histoire de l’immigration algérienne

Débat sur l’histoire de l’immigration algérienne.
Témoignage de Mohand Dehmous.

« Je suis arrivé en France
en 1957. J’ai atterri au 16
rue Léon. Le lieu n’a pas
beaucoup changé depuis :
c’est resté un café d’immigrés,
un garni tel qu’il
se présentait à l’époque.

J’avais 11 ans. Mon père considérait
qu’il fallait me faire partir du
village car Tizi Hibel, en Kabylie,
était au coeur du brasier. En
pleine guerre d’Algérie, un gosse
qui parlait un peu le français était
exposé. Il devenait difficile pour
les hommes de rester au village,
les contrôles étaient fréquents.
Il fallait prendre le maquis, ce que
bon nombre de villageois ont fait,
ou immigrer.

Mon père avait les moyens de
me faire venir en France, il était
patron d’un café ici (…).
En arrivant au 16 rue Léon, je
n’ai pas du tout été dépaysé car
j’y retrouvais les gens de Tizi
Hibel. La Goutte d’Or était le point
d’arrivée et le point de passage de
la plupart des immigrés du village.
D’ailleurs, lorsque, du pays, j’écrivais
des lettres en France, je les
adressais au 28 rue de la Goutte
d’Or. Dans mon esprit la France
était confondue avec le quartier.
C’est en arrivant ici que j’ai découvert
que le 28 rue de la Goutte d’Or
était simplement un café. Cela m’a
interloqué. Je suis rentré à l’école
rue Pierre Budin, en primaire,
chanceux que mon père ait eu la
possibilité de m’y envoyer (…).

Les émigrés de mon village à
Paris habitaient dans un certain
nombre de lieux. Outre le 16 rue
Léon, il y avait le 58 rue Myrha,
le 10 rue de la Charbonnière et
bien d’autres endroits. J’ai eu la
sensation d’arriver dans un univers
semblable à celui que je venais
de quitter. Les gens vivaient en collectivité dans ces cafés-hôtels
en reproduisant le modèle
de vie de la communauté villageoise
au pays.

Lorsque je suis arrivé en
1957 l’immigration originaire
du village existait
déjà depuis 50 ans.

Les premiers migrants sont arrivés en
1905 (…). A l’époque, c’était une
immigration de personnes qui partaient
pour découvrir la métropole
répugnant à aller travailler dans
les exploitations coloniales. Il s’est
avéré qu’en France, les conditions
de travail et de salaires étaient
quand même meilleures (ceci étant
relatif pour un travailleur colonial)
que celles en vigueur dans les fermes
ou les industries coloniales.

Nombre de ceux qui sont venus à
l’époque sont restés plus de 40 ans
sans revenir au pays. Certains ont
été mobilisés pendant la première
guerre mondiale.
Ce mouvement a créé un premier
contact avec la métropole ouvrant
la voie au premier grand courant
migratoire. A l’époque, on venait
en France pour un objectif précis :
gagner de l’argent pour acheter un
terrain et construire une maison
par exemple.

Mon grand-père et ses frères sont
venus en France en 1928. Nous
habitions au centre du village.
La famille s’agrandissait, il fallait
agrandir les habitations.
Mon grand-père et ses frères ont
construit les maisons actuelles en
bordure du village. Ils y ont installé
leurs familles.

Après la seconde guerre mondiale,
à la faveur de l’adoption du
statut de 1947 qui permettait la
libre circulation entre le pays et
la France, le départ des Algériens
vers la métropole s’est intensifié.
Les villageois émigraient en masse
vers la Goutte d’Or. Un endroit
comme le café-hôtel du 28 rue de
la Goutte d’Or les a presque tous
vus passer. Tous ne restaient pas
à Paris. Ils allaient à Chaumont,
Metz, Luneville, Lille, Roubaix,
Dieppe ou ailleurs, mais en passant
immanquablement par la
Goutte d’Or. Car c’était là le lieu de
rencontre et d‘échange de nouvelles,
de courriers, de commissions
diverses entre les familles restées
au pays et les migrants. Chaque
émigré était ainsi, à l’occasion de
son voyage dans un sens ou dans
l’autre, une sorte de messager
entre le village et les siens.

Peu à peu, l’émigration devint quelque chose d’incontournable
pour un homme adulte car à partir
de 16-18 ans, il fallait émigrer
pour travailler et gagner de l’argent.
C’était une source de revenus
pour la famille et aussi pour
le village.
Les mandats qui parvenaient
régulièrement aux familles ont
contribué à modifier les conditions
de vie et de travail en favorisant
le développement du commerce et
l’émergence d’une couche d’épiciers
et de négociants. Le mode
d’échange traditionnel basé sur
le troc des produits locaux a peu
à peu laissé place à l’échange par
l’intermédiaire de l’argent. Cela a
développé un modèle de consommation
qui tendait à privilégier
l’accès aux biens par la monnaie
et non plus par le développement
de l’activité de production locale.
La conséquence était, bien sûr,
de renforcer le mouvement migratoire.

En 1962, la majorité des hommes
adultes du village étaient
à la Goutte d’Or. Leur présence
durant la guerre d’Algérie dans
ce quartier qui fut un haut lieu
de la résistance nationaliste a
conforté la symbiose totale qui
s’est construite entre le village et
ce quartier parisien ».

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