« Depuis toujours, cette atmosphère, cette gouaille parisienne, l’esprit frondeur, besogneux de cette contrée ouvrière constitue le sel de la vie de ce quartier. Pour s’en convaincre il suffit de lire ou de relire les chefs d’œuvre littéraires de Zola, comme L’Assommoir ou Nana.
Ce quartier populaire est aussi depuis longtemps un quartier d’accueil, situé à proximité de la Gare du Nord et de la Gare de l’Est. Il a dans un premier temps accueilli les immigrés de l’intérieur soumis à l’exode rural (1840-1890) venant du Nord ou de l’Est de la France puis toute l’immigration des pays européens voisins.
Après la première guerre mondiale, les Algériens s’y installent et c’est dans les hôtels du 25 de la rue de la Goutte d’Or,
du 21 rue de la Charbonnière et du 25 rue de Chartres que se constituent les trois principaux pôles de la représentation, comme nous le révèlent Jean-Claude Toubon et Khelifa Messamah dans leur ouvrage Centralité Immigrée. Le quartier de la Goutte d’Or.
Durant la même période, alors que la volonté d’émancipation des colonisés prend forme, et ce n’est pas la moindre des coïncidences, s’installent d’anciens combattants algériens qui prennent quelques commerces, à l’image de Mohamed Djeffel : dès 1923, il ouvre un café-restaurant au 7 rue de Chartres, et va jouer un rôle éminent dans la construction de l’Etoile nord-africaine, première organisation nationaliste. Ce processus d’installation s’intensifie après la seconde guerre mondiale, avec le déclenchement de la guerre d’indépendance.
Le recensement de 1954 montre que, sur une population globale de 29 000 habitants, 2 000 Algériens résident dans ce quartier. Ce quartier a été douloureusement traversé par les drames que subissent les classes populaires pendant cette période sombre de l’histoire.
Je ne peux que très rapidement rappeler la manifestation du 14 juillet 1953, la sanglante répression des cortèges des Algériens qui provoqua 7 morts, 6 Algériens et un Français
habitant du 18e. La vie quotidienne de ce quartier était aussi ponctuée, plus particulièrement,
lors de la période de la guerre d’indépendance, par les contrôles au faciès, les agressions
racistes, les tortures perpétrées par les FAP, Forces auxiliaires de police, installées par Maurice Papon dans les caves de la Goutte d’Or, en particulier au numéro 28. Face à cela,
son corollaire, l’attitude de la résistance et la solidarité ont toujours été présentes à la Goutte d’Or et ont façonné l’identité de ce quartier.
Enfin, j’aimerais rappeler l’importance que joue le quartier de la Goutte d’Or dans l’effervescence musicale qui s’en empare dans les
années 1950 et 1960. Que cela soit par la présence d’artistes maghrébins en exil, par l’installation de la maison de disques algériens Oasis en 1958, par les nombreux concerts
des chanteurs maghrébins ou, plus tard, par la multiplication de l’installation
de magasins de cassettes dans les années 1980. C’est bien la Goutte d’Or qui fait et défait les chanteurs maghrébins qui se produisent en France et au Maghreb, car ce quartier emblématique a joué et joue encore un rôle central dans la diffusion de ce patrimoine musical dans le monde entier. Barbès est devenu ainsi un label de qualité pour les artistes maghrébins d’hier et d’aujourd’hui ».